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Dehors de partout

8 avril 2014

L'ascenseur, la porte et le cerisier

Je choisis la police "Times new roman" pour écrire. C'est la police que choississent les pauvres qui font preuve de "bonne volonté" culturelle. C'est la marque des pauvres qui voudraient prendre l'ascenseur social en se confrontant à une culture qui n'est pas la leur, celle de leur famille, celle de leur milieu d'origine. Si j'avais voulu marquer ma distance vis-à-vis des normes culturelles, j'aurai opté pour la police Arial, ou peut-être même une autre que j'ignore. Arial, la police de l'avant-garde. "Times new roman" l'arrière-garde.

Après avoir obtenu mon baccalauréat, ce diplôme que mes parents n'ont pas, j'avais cru signer pour un autre monde, celui d'une sorte de réussite. Je pensais que c'était celui de l'ascensseur social. Je choisi des études de sociologie en parti par peur d'échouer dans mes études et je ne veux pas échouer car je ne veux pas retourner travailler à l'usine ou juste être pauvre, je dois réussir et rapidement, j'ignore tout à tout de ce qui m'attend et de mes propres possibilités. J'entend que la sociologie est assez facile, et j'ajoute à cela malgré tout un certain intérêt nait des (rares) cours de sociologie suivis au lycée. Après beaucoup d'hésitation je fait ce choix qui détermine ma vie avec beaucoup de "hasard". Je me retrouve dans un environnement proprement indigent, une sorte de garderie pour bachelier d'origine pauvre, pour boursiers sur critères sociaux à mi-temps, petit dealer le reste du temps qui voit là le seul avantage de l'université. Le capital culturel, c'est pas pour nous. Et d'abord c'est quoi la culture ? L'outil de notre domination, une trique. Nous avons la nôtre de violence. Celle-là on la maîtrise un peu, on la connait beaucoup, pourquoi s'en tapper une nouvelle, une violence de bourgeois qui plus est.
Alors j'essaie un peu de me faire des amis mais ça ne dure pas longtemps, les contacts sont à peu près impossible. Je reste seul; je vais au resto u' tout seul en baissant la tête, souvenir du collège et du lycée dans lequel j'ai été dressé à fermer ma gueule et à redouter les agressions quotidiennes, agressions physiques des gamins, agressions morales des professeurs ou du personnels d'éducation. J'emporte avec moi le fardeau transmis par l'éducation nationale qui m'a appris que je ne valais rien. Littéralement, en la personne de plusieurs professeurs, en particulier le professeur de math de terminale qui m'envoit au tableau et en profite pour m'humilier collectivement. Avant-goût du monde du travail et de l'entreprise. "Tu crois que tu auras ton bac? Ahah." Je mesure désormais l'indigence des professeurs du collège et lycée qui devaient avoir obtenu une petite licence au rattrapage à une époque où il suffisait d'avoir des parents pas trop pauvres pour faire de menues études sans ambition. Des kapos quoi. Nos profs du collège et du lycée étaient des kapos, adoubés par un pouvoir supérieur dont ils ignorent tout et qu'ils pensent naturel. Ils se conforment donc à la violence en l'inculquant aux élèves. Aux élèvres pauvres bien sûr. Les élèves riches sont récompensés avec moult politesse. A l'école comme dans le monde ils sont partout chez eux. Ils ne subissent aucune violence, ni dans leur famille, ni à l'école et n'en subiront jamais plus tard dans le travail. L'amour même se maintient grâce à des conditions matérielles confortables.

Je veux contrer l'indigence des études de sociologie à l'université. Les professeurs font sans arrêt référence à des philosophes sans jamais expliquer leur théorie. Il faut les croire sur parole. Les philosophes ont la bonne parole, les sociologues se contentent d'essayer d'appliquer ce que les maîtres disent. Alors je vais jeter un oeil en philosophie.Au départ j'ai l'impression d'être un resquilleur ou un truand. Je met de nombreuses années à rendre compte que l'université et les cours sont en général ouverts à toutes les bonnes volonté. De nombreuses années. Au départ, je ressentais ce sentiment d'être un resquilleur lorsque j'allais dans une autre bibliothèque que celle de ma faculté d'inscription. Je ressentais ce sentiment lorsque j'allais dans un resto u' qui n'était pas le plus proche de mon bâtiment de cours. Bref, je ressentais ce sentiment de mal-être, de ne pas être à ma place, d'absence de légitimité, de "resquille" quasiment tout le temps. Et j'ai vécu ma scolarité à l'Université avec ce sentiment d'être un voleur profondément encré. Il fallait lutter contre ça, jour après jour. Parfois je renonçais, parfois je trouvais la force. Mais toujours, c'était très dur d'inventer un monde qui ne voulait pas de moi.

C'est là que commence ma formation. Par les cours où il devient désormais impossible de tout noter. Des questions sont posées, une forme d'honnêté intellectuelle semble se faire jour. Certains professeurs ont l'air de savoir de quoi ils parlent. Certains étudiants ont des questions intéressantes à poser. Un autre monde. Mais j'y suis l'étranger, c'est le propre de l'autre monde. Les étudiants sont félicité à la fin de leur exposé, ces mêmes étudiants qui me fermeront la porte au nez. "Oh désolé je t'ai pas vu". L'étudiant était habitué des félicitations des professeurs. C'était en licence.

2% de filles et fils d'ouvrier parviennent à un niveau d'étude corresspondant à bac+2 en 2007. Depuis les chiffres ont baissés il parait. Je suis donc bien seul, désormais en doctorat, c'est aujourd'hui une professeur qui a fermé sa porte à clé pour m'empêcher de venir à la "formation" doctorale. M'empêcher moi, spécifiquement, alors qu'elle avait ostenciblement ignoré mes propositions lors des séances précédentes, avant de noter mes idées en faisant comme si cela venait d'elle. En voyant la porte fermé et les étudiants à l'intérieur de la salle par le mur vitré, la trouille inculquée au collège et au lycée refait surface. Cette bonne vieille trouille que les professeurs de collège et de lycée sont payés pour inculquer aux élèves issus de milieux "défavorisés" afin de leur faire baisser la tête et de leur apprendre à rester à leur place, tout en bas de l'échelle et surtout a respecter l'autorité "naturelle" des biens-nés, aussi appelés fils et filles à papa/maman. Cette bonne vieille trouille contre laquelle je lutte chaque jour pour me faire une place dans le monde de l'université. Alors je m'enfuie, abandonnant la partie sans mener bataille car je sais que cette formation est sans importance. Et pourtant, après quelques pas dans le vent vif de cette période de carême, je me rappelle : "il faut chaque jour aussi mener campagne contre soi-même". Alors je reviens sur mes pas, hanté par la peur, et je fait face. Car celui qui ferme la porte à l'autre, c'est lui qui a la trouille, et il ne faut pas sous-estimer la souffrance des puissants. Il faudra recommencer demain, mais aujourd'hui c'est moi qui ait dit "très bien" aux menaces de l'homme de pouvoir apeuré. Et j'ai pu marcher la tête haute, sous les pétales de cerisier qui, un à un, tombaient.

http://www.inegalites.fr/spip.php?article908&id_groupe=10&id_mot=83&id_rubrique=6

 

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6 avril 2014

Out of everywhere

Le pays auquel je rêvais n'existe plus. Il a été détruit. Il n'existe plus que dans les rêves de l'enfant que je ne suis plus; il n'existe plus que dans l'imagination pauvre de l'adulte résigné que je devient.

小津安二郎 - 青春の夢いまいづこ/Yasujiro Ozu - Where Now Are the Dreams of Youth(1932)

Je ne peux plus y aller, même à l'autre bout de monde, je m'emporterai partout avec moi. Les rêves se sont enfuis, je reste seul avec le monde entier sans plus d'autre ou d'extérieur, sans plus de dehors. Je souhaiterai simplement ouvrir la fenêtre, mais celle-ci donne sur un chantier infini ou des machines tournent et retournent du sable gris comme des tombes. L'air et la terre se confondent désormais, et nous respirons de la poussière. Cela s'appelle le bonheur ici et maintenant. Cela s'appelle la croissance pourtant en berne. Cela s'appelle la résignation. Je ne vois que la destruction du seul monde qui existe. Détruire est notre politique, notre ambition, notre rêve. Cela nous l'accomplirons. Nous détruirons tout et rien ne subsistera, rien d'autre que la poussière. C'est là toute notre ambition d'homme moderne. Et même la cage d'acier fera rêver nos enfants déshérités lorsqu'ils se traîneront dans la boue infecte, n'espérant même plus la mort comme délivrance car la mort est ici désormais. Nous avons sacrifié les Ailleurs, nous sommes partout chez nous.

Les fantômes ne sont pas des morts, les fantômes naissent de l'indifférence à l'égard des hommes. (http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2014/02/24/maison-hantee-eu-europe-il-y-a-deux-fois-plus-de-logements-vacants-que-de-sdf/)

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